• Je m'exclame :

     

    - Alors c’était toi ? Je me suis demandé qui pouvait avoir peur du désert !

    - En fait, mon père et ma mère on été exilés quand ils étaient jeunes. Du coup, je suis né dans le désert mais ils ont estimé que je devais avoir une chance d’avoir une vie normale. Alors ils m’ont fait entrer clandestinement dans la Ville et maintenant j’habite chez mon oncle et ma tante.

    - Oh, je vois…

     

    Priss arrive à ce moment là et vient vers nous.

     

    - Alors, vous vous êtes débrouillés comment ? lance-t-elle.

    - Plutôt bien, je répond en souriant. C’était quoi ta peur ?

    - Tuer ma famille…

    - Mais c’était ta famille ?

    - Oui, pourquoi ?

    - Pourquoi ais-je vu mes cousins et mes voisines, dans ce cas ?

    - Ils ont pris des gens à qui on tenait, sinon on aurait pas été motivés, m’explique Priss. Et toi, Théo, c’était quoi ta peur ?

    - Heu… la peur de l’exil.

    - Vraiment ? Pourquoi ?

    - Priss… Je ne suis pas sûre qu’il veuille en parler.

     

    Alors je le vois s’en aller furieux. Je reste plantée là, les yeux ronds. Mais qu’est ce que j’ai dit ?

     

    - Vraiment bizarre, ce type ! soupire mon amie.

     

    Elle a bien raison. Nous attendons en bavardant que tout le monde ait fini, puis Tom nous annonce que nous pouvons regagner le dortoir.

     

     

     

     

    C’est notre dernière nuit ici. Demain, nous verrons notre classement et nous pourrons rentrer chez nous. Je m’endors paisible. Je suis plutôt confiante, maintenant.

     

    Le lendemain, nous nous habillons dans l’excitation générale. Priss sautille sur place. Lyo est avec nous, il plaisante avec Ryan. De temps à autre, il lance un regard amusé à Priss, tandis qu'il me fait des clins d’œil. Je souris.

    Nous nous rendons dans la salle d’entraînement. Un écran géant a été dressé en face de nous. Priss me serre fort la main. Nous sommes conscientes que notre avenir va être joué maintenant. Pitié pour moi, je pense. Non. Pitié pour Elie.

    Tom fait un petit discours, en rappelant que seuls dix personnes auront la chance de devenir soldats à part entière. Puis, il affiche le classement.

     

    1er - Opale Portier

    2ème - Sole Jenner

    3ème - Jim Hawk

    4ème - Lyo Land

    5ème - Priss Cavell

    6ème - Théo Young

    7ème - Ryan Pole

    8ème - Gary Verney

    9ème - Perrie James

    10ème - Jane Beaumont

     

    Priss saute à mon cou. Je crie.

     

    - Priss, on a réussi, on a réussi !

     

    Je remarque ici et là des têtes déçues, qui se baissent mais aussi d'autres, heureuses.

    Tom demande à tous ceux qui ont échoué de partir. Puis il nous remet notre emploi du temps, ainsi que nos groupes.

     

    - Opale… Tu es la première. Tu vas donc devoir faire un travail un peu spécial. Tu viendras avec moi quand j’aurais réparti les autres. Sole, Jim et Lyo, vous faites parti du premier groupe. Vous allez vous occuper du quartier B. Priss, Théo et Ryan, vous êtes le second groupe. Vous patrouillerez dans le quartier J. Quant à Gary, Perrie et Jane, vous serez affectés dans le quartier P. C’est clair ? Bien. Vous êtes libres. Mais n’oubliez pas. Vous devrez venir tous les jours.

     

    Nous partons. Je croise Jim, qui me sourit et lance :

     

    - Bravo! Tu m’a dépassée… Finalement, je ne suis pas plus fort que toi !

     

    Je rigole.

     

    - C’est vrai que le premier jour, ma défaite n’était pas glorieuse…

    - Mais tu as progressé.

    - Oui !

     

    Puis, Priss et Ryan me dépassent.

     

    - Sole, on y va. On se voit demain, sûrement.

    - À demain !

     

    Et c’est Lyo qui arrive.

     

    - Félicitations, Sole.

    - Toi aussi !

    - Merci…

     

    Et là, sans me prévenir, d’une impulsion, il s’approche et m’embrasse. Ce n'est pas brutal, c'est même tout le contraire. Je ne pourrais imaginer un étreinte plus douce. Je ne fais rien, je reste là. Car je viens de comprendre. Moi aussi, je suis amoureuse de lui. Alors on continue de s’embrasser, encore et encore. Mais soudain, je me fige. Je viens de voir le train s’arrêter. Je cours jusqu’à lui en disant au revoir à Lyo. Je monte au moment où le train redémarre. Je vais m’asseoir sur un siège. Théo vient vers moi.

     

    - Je suppose que tu sors avec lui ? demande-t-il, visiblement de mauvaise humeur.

    - Oui, ça te pose un problème ?

    - Rien. Sinon… pourquoi tu m’a défendu devant ta copine après le parcours ?

    - Et bien, je pensais que tu n’avais pas forcément envie de crier sur les toits que tu étais Exilé… Au fait, ma « copine » s'appelle Priss.

    - Oui. Mais j’aurais très bien pu répondre tout seul ! Tu croyais que je n’en étais pas capable ?

    - Si mais… oh, et puis, désolée.

    - Voilà, c’est ça qui m’énerve ! Tu ne peux pas t’empêcher de t’excuser. Bon sang, mais arrêtes !

    - Très bien. Finalement je ne suis pas du tout désolée, je crache.

     

    Je lui colle une baffe et je m’en vais à l’autre bout du wagon. C’est quoi son problème ? Il ne peut pas se comporter normalement ? Il est toujours obligé de se mettre en colère !

    Le train s’arrête à notre station et nous sortons tout les deux, sans nous parler, sans rien.

    Je rentre chez moi. Enfin de retour à la maison. J’en ai plus qu’assez de cette attente. Maintenant que je sais que je suis sélectionnée, je vais enfin pouvoir me détendre. Mais c’est sans compter sur Kat, qui me saute dessus avant même que je passe la porte.


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  • Je suis sur le bord d’une rivière. Une grue est dressée sur l’autre rive. Une cage en verre y pend. Elle est tout près de moi. Je crois que je sais ce que je vais devoir faire. Je monte dans la cage. Aussitôt, elle se referme et commence à s’enfoncer. Dans l’eau.

    Dès que je comprend que je vais me noyer, j'entreprends d’essayer de sortir de la cage. Je tente de briser le verre, mais il est trop solide. Je ne me sens pas bien. La cage plonge encore, de plus en plus profondément. Il faut à tout prix que je sorte d’ici. Je commence à paniquer.

     

    - Je veux sortir ! je crie.

     

    Puis je me dis que ce n’est certainement pas comme ça que la cage remontera. Il faut que je trouve un moyen. Je m'acharne contre la vitre, tant de fois que mes poings sont tout rouges. Et puis je remarque un point brillant dans l’obscurité. Ça vient de mon pantalon. Plus exactement, de ma ceinture. Une idée jaillit dans ma tête. Je défais ma ceinture et m’en sers pour frapper le verre. Il se casse presque instantanément. Je prend une grande respiration avant que l’eau s’engouffre dans la cage et je sors. Je me pousse de toutes mes forces vers le haut de la rivière. Et je respire à nouveau. Je sors de l’eau, m’assoit sur la terre de l’autre côté.

     

    Cet obstacle sera dur pour tout le monde, sans doute. Dans la Ville, il n'y a aucune rivière ni plan d'eau, ni piscine. Aussi, personne ne sait nager.

     

    Plus de lumière.

     

    Dans l’obstacle suivant, je suis dans une petite pièce. Une femme se tient à côté de moi, je ne la connais pas. Elle me tend un pistolet. Je le prend, mais je ne comprend pas à quoi il va pouvoir servir. Alors, elle ouvre une porte et fait entrer quatre personnes. Eux, ils ne me sont pas inconnus. Tour à tour, j’observe Kat, Elie, Lyna et Lathmee qui viennent se poster en face de moi. La femme se tourne vers moi.

     

    - Tue les, m’ordonne-t-elle.

    - Pardon ? je m’exclame.

    - Tue les, sinon tu sera éliminée du classement.

     

    Non, non, non ! Je ne peux pas tuer ceux que je considère comme ma seule famille ! Quelles possibilités ais-je ? Je peux les tuer et réussir le parcours. Ou les sauver et tout perdre. Ou alors… Oui, il y a une autre solution. Je prend mon pistolet. Je vise vers mes cousins et mes voisines. Je me concentre. Mais je me retourne brusquement au moment de tirer et la balle part vers la femme. Je tourne les yeux pour ne pas la voir tomber. Puis, je prend Kat et Elie par la main.

     

    - Suivez moi, on s’en va ! je crie.

     

    Après cet obstacle, j’en enchaîne plusieurs qui me paraissent plutôt faciles. Puis, je me retrouve au bord d’une falaise.

     

    Derrière moi, des gens armés de fusils qui crient : « Il faut l’attraper ! Elle ne doit pas s’échapper ». Ils m’encerclent de tout les côtés. Enfin, presque. Et là, je reconnais la situation. C’est ma peur. Je sais ce que je dois faire, maintenant. Je n’ai plus qu'a sauter de la falaise. Mais je suis paralysée. Je ne peux pas, je ne peux pas.

     

    - Quelle peureuse, lance un des hommes. Elle n’est pas digne de faire partie des soldats.

    - Non. Je ne suis pas une PEUREUSE !

     

    J'évalue le vide qui s'étend devant moi. C'est si profond que je n'ai aucune chance d'en sortir vivante. Les gens m'encerclent.

     

    - Saute, puisque tu n'as pas peur ! crient-ils.

     

    Enfin, je me souviens que ce n'est pas un vrai paysage, celui-ci n'est pas plus réel que les précédents. Je ne risque rien. Souffle. Je ne risque rien.

    Et tandis que je crie, je saute. En fermant les yeux.

     

    C’est bizarre, toujours pas de choc. Et effectivement, quand j’ouvre les yeux, je ne suis plus en train de tomber, mais je suis devant la porte de la Ville. Un des Dirigeants est là. Les Dirigeants sont les personnes les plus importantes de notre communauté, qui prennent toutes les grandes décisions et gouvernent Remainia. J’ai l’impression de le connaître sans vraiment arriver à savoir qui c’est. Il me désigne le portail.

    Un homme est en train de l’ouvrir. Le Dirigeant me dit :

     

    - Tu as commis un tel crime, que nous sommes obligés de t’exiler. Tu ne pourras plus jamais revenir dans la Ville.

     

    Je le regarde, sans comprendre. Exilée ? Mais je n’ai absolument rien fait ! Et puis, si c’est une peur de quelqu’un du groupe, je me demande qui peut bien avoir peur d’être exilé… Quoique. Peut-être que c’est… la personne qui m’a tailladé le ventre, ça serait bien possible.

     

    Voyant que je ne réagis pas, le Dirigeant me pousse en avant, de l’autre côté du portail. Il referme et je me retrouve seule dans le désert. Je viens d’apprendre quelque chose : Remainia est située au milieu du désert. J'ai mis le doigt sur un autre problème : ont-ils peur que nous découvrions ce qui se trouve hors de la Ville ? Sont-ils obligés, pour cela, de ne pas nous apprendre ce que cache l'extérieur ?

    Je ne comprend pas ce que je suis sensée faire. Je n’ai pas peur du désert ! Devrais-je aller supplier les gardes de me laisser rentrer ? Chercher une autre porte ? Escalader le mur ?

     

    - Non, franchement, je ne vois pas, je pense tout haut.

     

    Et d’un coup, la lumière s'éteint.

     

     

     

     

    Je suis enfin sortie de la salle. Les obstacles après le désert ne m’ont pas marquée, je m’en souviens à peine. Je passe devant Priss en l’encourageant du regard mais je continue pour me rendre dans la salle d'attente. Théo est là, à l'écart des autres. Je m’avance vers lui.

     

    - Alors, tu as bien réussi ?

    - Mmm… ouais, dit-t-il, pas particulièrement bavard.

    - J’ai un peu paniqué sur la cage qui s’enfonçait dans l’eau, mais sinon, tout s'est plutôt bien passé.

    - C’était quoi ta peur ?

    - C’était de tomber de la falaise…

    - Peur du vide, alors.

    - Oui ! Et toi ?

    - Heu… C’était l’exil.

     

     

    J’ai un moment d’hésitation. Et si, finalement, Théo était bien le fautif ? Aurait-il peur que quelqu’un découvre ce qu’il m’a fait ?


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  • Nous restons au parc longtemps, sans rien dire, en regardant autour de nous. Le jour commence à baisser, mais je ne m’en rends pas encore compte. Quand je regarde ma montre, je sursaute. Il est presque l’heure de repartir.

     

    - Ryan, Priss, il faut qu’on y aille.

    - Oh. Dommage. Ça va me manquer. Encore, soupire Priss.

     

    Nous nous dirigeons directement vers le réfectoire. À notre table, Théo n’est pas là. Mais ça ne nous étonne pas, il n’est pas revenu depuis que nous nous sommes disputés au sujet de Gary. De toute façon, il ne me manque pas. Il est tout le temps en train de chercher le conflit, et ça ne me plaît pas. Et puis son comportement, on dirait qu’il se croit au dessus de tout. Ça m’insupporte.

    Alors que nous commençons notre entrée, Lyo s’approche de nous.

     

    - Je peux venir ? J’ai remarqué que la place était libre, alors…

    - Sans problème ! approuve Ryan. Ça nous changera de l’autre idiot qui se met en colère pour un rien.

     

    Ils rigolent. Et moi je songe qu’il n’est pas le seul à penser ça.

     

    - Alors, vous avez découvert qui a blessé Sole ?

    - Non, pas encore. On soupçonnait Gary, mais Théo s’est énervé en disant que ce n’était pas lui le coupable.

     

    Je vois alors une lueur étrange dans les yeux de Lyo. Mais il se ressaisit immédiatement.

     

    - Mais alors, Théo sait qui a fait le coup ?

    - Non. En tout cas, s’il le sait il nous a prétendu le contraire.

    - Et si c’était lui ?

    - Hum… oui, ça serait possible, il est louche depuis le début.

     

    Bizarrement, même si Théo me paraissait en effet suspect, je ne l’imagine pas du tout faire ça. Il semblait plutôt sincère, quand il m’a assuré être innocent.

     

    - Je ne pense pas, je dis. Il a essayé de me donner un conseil et quand je lui ai suggéré que c’était peut-être lui, il m’a assuré que non.

    - Et tu le crois ? demande Priss, sceptique.

    - Et bien, ouais.

     

     

     

     

    Ce matin là, Tom nous demande de nous rassembler tous dans la salle principale.

     

    - Aujourd’hui, vous allez commencer la dernière partie de votre formation. Dans la première partie, vous avez appris la pratique. Maintenant, il s’agit de voir comment vous vous débrouillez en réalité. Dans une situation concrète, en somme.

     

    Il nous fait signe de le suivre, dans les couloirs. Nous arrivons devant une porte en fer. Il l’ouvre et nous laisse entrer.

     

    La salle est circulaire, le plafond en forme de dôme au dessus de nos têtes. Toutes les parois sont recouvertes d’écrans. On se croirait dans un planétarium… Je n’en ai jamais vu, mais ma tante m’avait un jour raconté que dans une ancienne civilisation, on projetait des images du ciel dans une salle en voûte. J’ai toujours rêvé d’en voir un vrai, mais je me doute que le jour de l’examen, je n’aurais pas le droit à de simples images d’étoiles.

     

    - Ici, c’est la salle où vous allez affronter ces obstacles. Dans une petite salle de contrôle à côté, nous choisissons de vous envoyer telle ou telle situation, et nous voyons vos réactions. Les obstacles vous paraîtrons réels car ils s’afficheront partout autour de vous. Sur les murs, mais aussi sur le sol. Et c’est votre temps et votre façon d’affronter les obstacles qui joueront dans votre classement.

     

    Un garçon lève le bras.

     

    - Et comment se prépare-t-on à ça ?

    - Pendant cinq jours, vous allez vous y entraîner ici. Nous vous ferons passer un par un. Puis, le dernier jour, il y aura une épreuve finale ou vous devrez affronter non pas une situation mais plusieurs. Nous vous demanderons de nous citer une de vos peurs, nous les transformerons en obstacle. Il y aura une peur par personne mais elles seront toutes assemblées pour former un parcours que vous devrez tous affronter. C’est clair ?

     

    Tout le monde acquiesce.

     

    - Très bien. C’est parti, mettez-vous en rang, vous allez passer un par un.

     

     

     

     

    C’est aujourd’hui le grand jour. Nous allons devoir affronter le parcours d’obstacles. J’espère que ça va bien se passer, je suis inquiète. Qu’est ce qui arrivera si j’échoue, si je suis obligée de rentrer chez moi bredouille ? Si Elie meurt à cause de moi ?

     

    Nous attendons tous devant la porte du « planétarium ». C’est Sawasane qui est en train de passer. Je suis avec Priss. Aucune de nous ne parle, nous sommes toutes les deux stressées de ce qui nous est réservé derrière cette porte.

    Après un temps qui me paraît infini, Sawasane sort. Elle sourit, un sourire un peu crispé. Je me demande ce qui s’est passé, mais les autres ont l’interdiction de nous raconter après leur passage. Ils perdraient leur place, et nous aussi.

     

    - Jenner, Sole, appelle Tom.

     

    Je m’avance, entre dans la salle. Je me place au milieu. Les lumières s’éteignent.

    Puis, elle se rallument et je ne suis plus dans une simple salle. Non, je suis au milieu d’une gigantesque plaine déserte. Je vois des points noirs qui se dirigent vers moi. Quand ils se rapprochent, j’arrive à distinguer leur forme. Des araignées. Des araignées géantes. Elles s’approchent, commencent à me gratter avec leurs pattes. Puis, elles essayent de monter sur moi. Je n’ai pas d’arme, je suis obligée de les repousser avec mes mains. Je les éjecte à l’autre bout de la plaine. J’en écrase autant que je peux sous mes pieds. Mais elles reviennent toujours. Il y en a même une dans mes cheveux. Je la prend et je l’envoie plus loin. Elle s’avance à nouveau. Je commence à croire que je ne vais pas m’en débarrasser si facilement. Heureusement, je n’ai jamais eu peur des araignées. Alors je les laisse m’envahir jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une seule lumière.

     

     

    Et le paysage change.


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  • Je me mets à courir dans les couloirs en espérant le distancer. Il me suit.

     

    - Fous-moi la paix, Théo !

     

    J'arrive à la cafétéria et je rejoins Ryan et Priss à notre table. Théo arrive deux minutes après. Il est en colère. Mais moi aussi.

    Nous mangeons en silence. L'ambiance est lourde. Puis, Ryan et Priss se mettent à parler de mon accident.

     

    - A votre avis, pourquoi cette personne t'a-t-elle lacéré le ventre ?

    - Peut-être que…

     

    Puis je me rends compte que je n'en ai aucune idée.

     

    - En tout cas, si tu n'avais pas crié, peut-être que ça aurait été pire. Tu as eu de la chance. dit Ryan.

     

    Priss le fusille du regard.

    Nous continuons à évoquer nos hypothèses, sans nous soucier de Théo, qui tire une fois de plus une mine renfrognée. Puis nous repartons vers la salle d'entraînement.

     

     

     

     

    Nous sommes à la cafétéria, personne ne parle, comme d’habitude. Sauf que cette fois-ci, c’est différent. Nous sommes tous fatigués par notre entraînement de la journée. Hier, nous avons commencé l’entraînement avec les armes. C’est plus facile que le corps à corps, du moins je trouve.

    Soudain, Ryan lance :

     

    - Alors, vous savez toujours pas pour le mystérieux agresseur de Sole ?

    - Pourquoi agresseur ? demande Théo du tac au tac. Ça pourrait très bien être une fille. On ne les connait pas assez pour savoir de quoi elles sont capables !

    - C’est vrai, je disais juste ça comme ça. C’est pas la peine de t’énerver.

    - De toute façon, je renchéris, je pense avoir une idée.

    - Ah ouais ? interroge Théo.

     

    Je désigne un gars au physique de colosse deux tables plus loin.

     

    - Il me paraît suspect.

    - C’est idiot ! crie Théo. Tu ne vas quand même pas l’accuser juste sur une intuition ! Je connais Gary depuis ma première année d'école ! Il n’aurait jamais fait de mal à une mouche ! Si c’est juste à cause du fait qu’il est grand et intimidant, tu te trompes complètement !

     

    Il se lève, fou de rage et s’en va à grands pas.

     

    - Waouh, remarque Priss. C’est bizarre qu’il soutienne que Gary est innocent. Comme s’il savait qui était le coupable.

    - Ouais, il me l’a laissé entendre, hier. Il disait un truc du genre « Tu dois te méfier de tout le monde, y compris de tes amis ».

    - Bizarre…

     

     

     

     

    Je m’améliore de plus en plus, en tir au pistolet. Je ne suis pas mauvaise au poignard et à l’arc aussi. D’ailleurs, j’ai pu constater que Priss, par rapport au combat à main nues, est nettement plus douée avec les armes. J’espère pour elle que ça lui assurera une bonne place dans le classement. C’est le dernier jour de notre entraînement avec les armes. J’espère qu’avec ça et ma victoire sur Sawasane, Billy et mon ex-æquo avec Opale, je remonte dans le classement. Mais on n’a pas le droit de savoir notre score avant la dernière épreuve.

     

    - Eh, Sole ? m’appelle Priss.

    - Oui ?

    - Tom a décidé de nous libérer un peu plus tôt aujourd‘hui.

    - Sérieux ? C’est bien la première fois.

    - Ouais ! Du coup, je me disais… On pourrait aller se balader, avec Ryan. Je connais un endroit sympa pas loin d’ici. Tom est d’accord, à condition qu’on ne rentre pas chez nous et qu’on revienne avant l’heure du repas. Alors, ça te dis ?

    - Super !

    - Je reviens, je vais prévenir Ryan.

    - Ça marche.

     

    Je les attend à la sortie. Ça me rappelle mon premier jour, quand je suis entrée et que je ne voyais rien dans cette obscurité. Maintenant, je m'y suis habituée et je me demande comment je vais supporter la lumière du soleil. Ah, les voilà.

     

    - Waouh, ça va me faire bizarre de retourner dehors ! rigole Ryan.

    - Oui, moi aussi. Si Tom ne nous avait pas interdit de rentrer chez nous - d’ailleurs, je ne sais pas pourquoi - je pense que je serais allée voir ma famille, ajoute Priss.

     

    On marche pendant un moment jusqu’à un parc que je ne connais pas, dans le quartier W. Il fait un temps magnifique. Maintenant, je regrette d’avoir choisi un métier où on ne voit pas le ciel, parce que c’est sublime. Mais je suppose qu’il va falloir que je m’y fasse. De toute façon, si je réussis à être classée dans les dix premiers, je patrouillerais dans la Ville et je ne serais plus à l’intérieur.

    Nous arrivons à un endroit où l’herbe est toute moelleuse, douce… Priss s’allonge.

     

    - J’avais un jardin, quand j’étais petite, avant de déménager, chuchote-t-elle. Chaque soir, comme je ne supportais pas d’être enfermée, je faisais mes devoir dans le jardin, assise où allongée dans l’herbe. Comme j'habitais près d'ici, je pouvais aussi aller au parc, jouer avec mes amis en rentrant de l'école. Qu’est ce que ça m’a manqué, quand je suis partie…

    - Pourquoi tu as déménagé ?

    - Parce que mon père est parti de chez nous, ma mère et lui ont divorcé. Comme ma mère à elle seule n’avait pas un salaire suffisant pour payer cette maison plus les frais quotidiens, on l’a vendue et on a acheté un appartement plus petit… et sans jardin.

     

    Dans son regard, je vois à quel point ça lui manque.

    Ryan et moi sommes allongés, nous aussi. On contemple le ciel, rêveurs. Je me souviens que quand j’avais quatre ans, je m’allongeais dans le jardin d’enfants et j’imaginais que les nuages étaient tous des choses différentes : des animaux, des objets… J'avais un jardin, moi aussi. Seulement, quand je suis partie à quatre ans chez ma tante Mara (et ensuite au foyer), j'ai dû faire sans. Autant dire que je n'en ai pas profité longtemps.


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  • - Et bien, on est plus présentables comme ça, remarque Opale quand nous sortons de l'infirmerie.

     

    On part vers le réfectoire.

     

    - Tout à fait. Même si j'ai beaucoup apprécié ta coloration rouge et mon œil façon… Tu sais, l'animal avec le pelage noir et blanc qu'on voyait dans nos manuels scolaires ?

    - Un panda ?

    - Oui, c'est ça.

     

    On éclate de rire. Puis on se sépare pour aller à nos tables respectives.

     

    - Dis, il a fait du bon boulot, le médecin. On voit presque plus ton coquard, remarque Ryan.

     

    Je ne répond pas. Théo est totalement silencieux, comme d'habitude, et ça me met mal à l'aise. Pour relancer une conversation, je tente :

     

    - Et vous, vous avez fait des progrès dans vos combats ?

    - Pour être franc, non, soupire Ryan, approuvé par Priss.

     

    Comme par hasard, Théo ne répond pas.

     

     

     

     

    Je suis couchée dans mon lit, plus fatiguée que jamais après un énième après-midi d'entraînement de corps à corps. Bizarrement, je n'entend pas Priss se remuer dans le lit du dessus. Elle ne doit pas y être, mais pourquoi ?

     

    Et soudain, une violente douleur me saisit au ventre et je sens comme une lame qui s'y insère et qui me l'entaille. Je hurle, un cri strident qui résonne dans tout le dortoir. La douleur est abominable.

    Puis je sens quelque chose qui me tire, qui me lâche, et je retombe sur mon oreiller.

    Sawasane, du lit d’en face, est la première à côté de moi.

     

    - Sole, qu'est ce qui se passe ?

     

    Derrière elle, je distingue la voix de Théo.

     

    - Sole ? Comment ça va ?

     

    Et une autre voix qui crie :

     

    - Allumez la lumière, bon sang !

     

    Et d'un coup, je me retrouve aveuglée par la lumière du dortoir, si bien que je ferme les yeux pendant quelques secondes. J'entends :

     

    - Laissez moi passer, laissez moi passer !

     

    Puis un cri.

     

    - Sole, mon dieu, qu'est ce qui t'es arrivé ?

     

    J'ouvre les yeux et la première chose que je vois, c'est du rouge. Du rouge partout, seulement du rouge. Je tourne la tête. La personne qui se tient à côté de moi, c'est Priss. Elle a l'air affolé. Je me retourne du côté où était le rouge. Maintenant que je suis habituée à la lumière, je remarque que c'est du sang. Et que ce sang provient de mon ventre. Qui est lui-même balafré d'une énorme coupure, qui crache le sang. Et la douleur revient.

     

     

     

     

    J'ai mal. Quelle horrible douleur. Elle m'élance dans tout mon corps, sans que je fasse un seul mouvement.

    Je remue mes paupières et constate que je suis à l'infirmerie. Il y a des gens tout autour de moi. Priss, Ryan, Jim, un garçon que je ne connais pas et Théo, au fond de la pièce. Il est le seul à ne pas s’approcher de moi quand j’ouvre les yeux. Oh, c’est étonnant.

     

    - Elle est vivante ! crie mon amie, quand je me réveille.

    - Évidemment, qu'elle est vivante, remarque Ryan. Tu ne la croyait quand même pas capable d'abandonner la vie pour une petite blessure ?

    - Ryan, ce n'est pas une petite blessure ! Elle a le ventre quasi-totalement ouvert !

     

    Toujours en train de se disputer, ces deux là. Le garçon inconnu s'avance vers moi. Il est blond aux yeux bleus, de taille moyenne. Plutôt mignon, d'ailleurs.

     

    - Je m'appelle Lyo.

     

    Je m'apprête à rétorquer que c'est un nom étrange quand je me souviens que le mien l'est encore plus. Alors je ne dis rien. Merci Opale.

     

    - J'ai eu tellement peur…

    - C'est bon, Priss, ne t'inquiètes pas.

    - J'aurais tellement voulu être là, j'aurais pu empêcher ce qui s'est passé… Je m'en veux !

    - Hé. Je suis vivante, d'accord ! Ne culpabilise pas, c'est pas de ta faute !

    - Moi aussi je suis innocent, ajoute Ryan.

    - Pareil pour moi, dit Jim. Je suis vraiment désolé qu'il te soit arrivé une chose pareille…

    - Oui, c'est vraiment horrible, ajoute le dénommé Lyo.

     

    A ce moment, Théo lance un regard noir à Lyo dans son dos. Mais il ne bronche pas, ne s'avance toujours pas pour me dire que ce n'est pas lui, rien.

     

    - Tu te sens d'aller manger ? demande Priss.

    - Je crois.

    - Très bien, allons-y, dit-elle aux autres. Tu nous rejoins à la table !

     

    Je reste seule avec Théo, qui n'est pas parti avec eux. Je me lève péniblement et sors du lit.

     

     

    - Ça va ? demande-t-il.

    - Oui. Va rejoindre les autres, j'arrive. Pas la peine de rester là.

    - Je veux juste te donner un conseil.

    - Vas-y…

    - Ne fais confiance à personne. Après ce qui vient de t'arriver, n'importe qui peut être coupable. A ta place, je me méfierais même de ceux que tu considères comme tes amis.

    - Qu'est ce que tu veux dire ? Tu sais qui a fait le coup ?

    - Non. Mais fais attention. Ne fais confiance à personne.

    - Je rêve ou tu es en train de me dire que c'est toi le coupable ? Et puis d'ailleurs, si je me méfiais de tout le monde, pourquoi devrais-je te croire, toi ?

    - Mais non ! Je n'ai jamais dit que tu devais me faire confiance ! Et je n'ai pas dit non plus que j'étais le coupable…

    - Alors tu perds ton temps. Je ne sais même pas pourquoi je continue à t'écouter alors que je suis sensée me méfier de tes paroles. Donc je ne suivrais pas ton conseil. De toute façon, je ne suis pas si naïve !


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